Crédit photo : André Pichette, La Presse
LA MINISTRE DES ARTISTES ET DES ARTISANS
Chronique
Nathalie Petrowski
La Presse
Nathalie Roy occupait son bureau de ministre de la Culture et des Communications depuis exactement une heure et quart lorsque je l’ai rencontrée lundi. Pull rose sur pantalon noir, cheveux libres et longs, la ministre de 54 ans, une communicatrice aguerrie au naturel accueillant, s’est excusée du chantier de son bureau. En réalité, son bureau du 8e étage de l’édifice Wilder, rue De Bleury, était pratiquement vide, tout comme les postes de travail inoccupés de l’autre côté de sa porte. À l’évidence, il n’y a pas eu beaucoup d’activité sous les libéraux dans ce satellite montréalais du ministère.
Hormis Manon Gauthier, sa cheffe de cabinet, un gardien de sécurité et la sous-ministre Marie-Claude Champoux, nommée par les libéraux et dont la nomination partisane avait été décriée jadis par la Coalition avenir Québec (CAQ), la députée de Montarville, élue avec plus de 7000 voix de majorité, était seule en selle lundi et prête à assumer ses nouvelles fonctions de manière positive, un mot-clé de son vocabulaire.
« Je compte bien privilégier une approche positive plutôt que de tabler sur la peur et le besoin de protection. Ça va faire, la peur ! Les Québécois n’ont pas eu peur quand ils ont voté pour nous », souligne-t-elle.
« Culturellement, nous avons de quoi être fiers aussi bien sur le plan de notre langue que de notre culture et de nos créateurs. C’est important de le rappeler. »
— Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications
Nathalie Roy jure qu’elle ne s’attendait pas à être nommée ministre de la Culture et des Communications (et responsable de la langue française). Elle raconte avoir figé dans le bureau de François Legault en apprenant la nouvelle, avant d’avoir une petite pensée pour feu Jean Lapierre, qui a été son mentor en politique et celui qui a recommandé sa candidature à l’équipe d’une CAQ naissante en 2011.
Pour la petite histoire, qu’elle garde volontairement petite et privée, Nathalie Roy, qui se dit célibataire et sans enfants et qui a été pendant 20 ans animatrice à TQS et à RDI, est née à New Carlisle, en Gaspésie, en 1964. Elle a déménagé à l’âge de 4 ans avec ses parents à Rimouski, puis à 12 ans à Sherbrooke. Elle refuse de parler de ses parents, aujourd’hui séparés, se contentant de dire que son père est un Roy de Montréal et sa mère, une Paquet de Shippagan, en Acadie. Elle a deux sœurs, l’une sur la Rive-Sud et l’autre dans la couronne nord, et un beau-frère claviériste. Elle a fait dix ans de piano, quatre ans de clarinette, mais insiste pour dire qu’elle n’a pas une once de talent.
Très tôt, Nathalie Roy a voulu devenir journaliste, calculant que la meilleure façon d’y arriver serait d’étudier le droit. Pendant ses études à l’Université de Sherbrooke, elle a animé les fins de semaine une émission musicale dans une station appartenant à Télémédia. Elle affirme d’ailleurs connaître par cœur le catalogue de Rock Détente (devenu Rouge FM), mais que ses préférences musicales vont au jazz, au blues et à Diane Tell, une idole de jeunesse.
Après son Barreau, la future ministre a été engagée comme reporter aux arts et spectacles à CHLT. « Quel bonheur ce fut, s’exclame-t-elle. J’allais voir tous les spectacles à la salle Maurice-O’Bready et au Vieux Clocher de Magog et je faisais des entrevues avec RBO, le Groupe sanguin et Marie Carmen à l’époque où elle chantait L’aigle noir. »
Sans s’en rendre compte, la ministre vient d’ouvrir la porte à un sujet controversé : la parodie de 1992 rediffusée au gala de l’ADISQ dimanche, dans laquelle L’aigle noir fut rebaptisé Nègre noir avec Normand Brathwaite dans le rôle-titre.
« J’avais beaucoup ri à l’époque en voyant cette parodie, mais le discours à ce sujet a changé, et c’est évident qu’on ne peut plus tenir ce genre de discours aujourd’hui », plaide-t-elle.
De Normand Brathwaite à SLĀV et Kanata, il n’y a qu’un pas, qu’elle franchit prudemment. « Être artiste, c’est se mettre dans la peau de l’autre », dit-elle, reprenant les propos de Robert Lepage au lendemain de la crise qui a provoqué l’annulation de ses deux productions. « Je comprends qu’il y a des sensibilités à respecter, mais si on ne peut plus interpréter quelqu’un de différent de nous, ça commence où [cet interdit] et ça s’arrête où ? »
Elle n’en dira pas davantage, préférant rester positive et vanter les mérites d’un gala où elle faisait sa première sortie officielle de ministre. « J’ai adoré Louis-José Houde, j’ai adoré le numéro d’ouverture, l’incroyable prouesse musicale de ce numéro et, surtout, j’ai adoré voir tous les techniciens et les artisans à l’œuvre. Quant à Hubert Lenoir, j’aime sa musique. Je n’en dirai pas plus. »
LA POLITIQUE CULTURELLE
Pendant la campagne électorale, la CAQ s’était engagée à préserver la politique culturelle déposée par les libéraux quelques jours avant la fin de la session. Nathalie Roy maintient la promesse, mais y ajoute des nuances importantes et une certaine incertitude quant aux 600 millions supplémentaires promis par les libéraux.
« Cette politique, j’ai fermement l’intention de travailler avec. Je ne vais pas la déchirer, c’est certain, d’autant que ce n’est pas la ministre Montpetit qui l’a écrite toute seule, mais une foule de gens au Ministère qui y ont travaillé pendant des mois. Nous la garderons, mais nous allons en changer certaines orientations. Pour ce qui est de l’aspect financier, il ne faut pas oublier que les sommes promises par les libéraux étaient un cadeau électoral. Est-ce que nous allons allouer les mêmes sommes ? La mise à jour économique de décembre nous le dira. Chose certaine, pas question de jeter cette politique aux poubelles. »
De la même manière, la ministre affirme qu’elle a l’intention de continuer à travailler avec les têtes dirigeantes des 11 sociétés d’État qui relèvent de son ministère. « On va tendre la main à ceux qui veulent travailler avec nous. Pas question de punir qui que ce soit ni de nommer nos petits amis, de donner dans le copinage ou le favoritisme comme l’a fait le gouvernement avant nous. Pas question non plus de reconduire notre aide aux groupes et aux organismes de manière automatique. Nous allons juger au mérite et à l’impact. »
Comme premier geste significatif, la ministre veut accorder deux sorties culturelles gratuites aux élèves du réseau scolaire. L’intention n’est pas sans rappeler celle de l’ex-ministre Sébastien Proulx et ses sorties culturelles gratuites décriées par les écoles. Faute d’argent, la plupart des écoles ont tout bonnement annulé les sorties. Mais la ministre n’en démord pas.
« Il faut absolument que la culture retourne dans les écoles et que les bibliothèques scolaires soient à nouveau garnies de livres. Nous allons tout faire pour que ça se réalise. »
— Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications
Une heure et demie a passé en un éclair dans le bureau d’une ministre qui parle davantage de démocratisation culturelle que d’art et de création. Pour elle, la culture, ça va de l’artisan jusqu’au maestro, « sans que l’un soit plus important que l’autre », insiste-t-elle.
Depuis sa création en 1961, le ministère de la Culture et des Communications a vu défiler 26 ministres.
Je demande à Nathalie Roy quel genre de ministre elle a l’intention d’être. « Je veux être la ministre des artistes et des artisans et y aller avec mon cœur, mais aussi avec ma lucidité », répond la vingt-septième titulaire du poste. Saura-t-elle transformer les promesses en gestes concrets et faire une différence pour les élèves dans les écoles comme pour les créateurs ? C’est ce que nous allons bientôt découvrir.