Québec retirera les dispositions sur les discours haineux du projet de loi 59
La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, présentera mercredi un amendement pour éliminer du projet de loi 59 la portion portant sur les discours haineux, afin de ne conserver que la partie sur les mariages forcés.
« Le consensus qui s’est dégagé, c’est qu’on n’est pas prêts pour ça », a déclaré la ministre Vallée au cours d’un impromptu de presse à l’Assemblée nationale. « Je ne vais pas m’entêter, a-t-elle poursuivi. Je ne vais pas passer ça sous le bâillon. »
Le projet de loi, conçu avec l’objectif de lutter contre la radicalisation, prévoyait l’interdiction de tenir ou de diffuser publiquement des discours haineux ou des discours incitant à la violence qui visent un groupe de personnes spécifiques, comme un groupe ethnique ou religieux.
La ministre Vallée rappelle que le projet loi avait été élaboré à un moment où le Québec était ébranlé par le départ – et des tentatives de départs – de jeunes radicalisés pour la Syrie.
Le projet de loi risquait toutefois de rater sa cible et d’avoir comme effet pervers de restreindre la liberté d’expression, selon ses détracteurs.
La ministre Vallée souligne avoir tenté d’amender le projet de loi à la lumière des commentaires formulés en commission parlementaire. Malgré ces amendements, « le projet ne passait pas », selon Mme Vallée.
Le projet de loi aurait également conféré des pouvoirs d’enquête et d’intervention à la Commission des droits de la personne, qui aurait pu recevoir des plaintes, de façon confidentielle. Cette portion faisait craindre le dépôt d’une multitude de plaintes non fondées..
La ministre Vallée a déploré l’obstruction systématique des partis d’opposition en commission parlementaire. Elle souligne que les parlementaires ont passé plus de 60 heures à discuter du premier article du projet de loi et que les oppositions avaient passé une heure à débattre d’un amendement auquel elle avait donné son accord.
« À un moment donné, il faut que les projets de loi avancent », a-t-elle déploré, visiblement agacée. La ministre de la Justice ne ferme toutefois pas la porte définitivement à une législation sur les discours haineux, estimant que la perception des Québécois sur cette question pourrait évoluer.
La ministre Vallée entend conserver le volet sur les mariages forcés du projet de loi 59. Elle compte reprendre le même projet de loi et le renommer pour qu’il soit plus fidèle à l’esprit de la loi.
Maltais se félicite de son « obstruction intelligente »
En entrevue à Midi Info, Agnès Maltais, s’est réjoui de la décision de la ministre. « Je suis très contente », a-t-elle déclaré, en se félicitant de l’« obstruction intelligente » qu’elle a mise en oeuvre dans ce dossier.
Selon la députée péquiste, le projet de loi sur le discours haineux « ne répond pas aux besoins » du Québec et certaines de ses dispositions pouvaient même se révéler « dangereuses » pour la liberté d’expression.
Mme Maltais rappelle que des juristes, des commentateurs et la majorité des groupes qui ont témoigné à ce sujet en commission parlementaire s’opposaient aussi à l’approche préconisée par la ministre.
« C’est par la prévention et l’éducation qu’on va réussir, et non pas par la judiciarisation », affirme-t-elle. « C’est en amont qu’on doit travailler. »
Elle avait déjà fait valoir que le Code criminel contenait déjà les protections nécessaires pour se prémunir contre les discours haineux.
Mme Maltais souligne par ailleurs que si son parti s’opposait à cet aspect du projet de loi, il en appuie deux autres, soit ceux portant sur les mariages forcés et le contrôle parental excessif. Le fondement de cette dernière partie est « très bon », dit-elle, en rappelant qu’il trouve sa source dans le drame de la famille Shafia.
« C’est consensuel au Québec, même chez les analystes, que le projet de loi était mal foutu », a pour sa part commenté le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, lors d’une conférence de presse tenue en début d’après-midi.
« Il n’atteignait pas l’objectif pour lequel il avait été fait. Rappelez-vous, à l’époque, ce qu’on voulait, c’était lutter contre l’intégrisme; or, en n’en parle pas nulle part », a-t-il résumé.
En entrevue à Radio-Canada, l’ex-députée libérale Fatima Houda-Pépin, qui avait aussi dénoncé le projet de loi, a abondé dans le même sens que le chef de la CAQ. « Lorsque l’on refuse de nommer les problèmes, on ne peut pas apporter les bonnes solutions », a-t-elle fait valoir.
Selon elle, le projet de loi 59 portait la signature du premier ministre Philippe Couillard, qui « a cédé aux demandes de ceux qui voulaient interdire l’islamophobie au Québec ». Or « les seuls qui étaient d’accord avec le projet de loi, c’était les islamistes ».
« Tant et aussi longtemps qu’on refuse de parler de l’islamisme radical, de cette dynamique qui représente une menace, d’abord pour les musulmans – parce que c’est les premiers qui paient le prix pour ça – et aussi pour la sécurité, la liberté et la démocratie […], on tourne autour du pot », assène-t-elle.
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Un reportage de Nicolas Vigneault (Radio-Canada)
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